Généralement, lorsqu’un civil faisait un raffut de tous les diables à aller tirer le signal d’alarme d’absolument tous les clans (tous les clans joignables du moins), il s’agissait soit d’une crise absolue sans précédent, soit d’un sombre crétin doublé d’une flippette. Actuellement, on se trouvait malheureusement dans le deuxième cas de figure. Mais bon, tout n’était pas perdu : d’après la notification que Minghua avait reçue, les égouts contenaient tout de même, si le civil n’était pas complètement mythomane, une colonie d'Aalz. De bonnes cibles pour entretenir ses compétences de tir. Elle avait donc coché la case « Accepter cette Traque », préparé ses affaires et s’était mise en route.

Comme toujours lorsqu’elle partait en Traque, la Yiheliste avait privilégié la liberté de mouvement plutôt que l’esthétique. Elle portait donc sa tenue de Yihel plutôt que ses tailleurs habituels. D’autant plus qu’il faut dire que le sang d'Aalz, comme bien d’autres liquides douteux, partait très mal de la soie au nettoyage à sec. Dans ce même soucis de liberté de mouvement, elle portait des bottes (imperméables) plates plutôt que les stilettos sur lesquels elle trônait généralement. Ses longs cheveux étaient relevés en un chignon impeccable, et nul sac ne venait la gêner, sa tenue de Yihel comportant assez de poches pour ranger tout ce dont elle pourrait avoir besoin. Son arbalète miniature, elle, était accrochée à sa ceinture, à côté de Lueur divine, qui brillait comme toujours de mille feux. Quant aux dards qui lui servaient de flèches, ils étaient prêts à l’emploi dans ses brassards, soigneusement rangés par Sceau.

Elle n’était pas la première à arriver au point de rendez-vous, et elle n’eut pas à demander si les deux individus présents étaient là pour la même raison qu’elle, puisqu’une des deux silhouettes la devança. Avec un entrain non négligeable et fort peu approprié à une Traque à l'Aalz dans un environnement sombre et nauséabond… Du moins ouvertement. Intérieurement, Minghua avait tout aussi hâte de plonger dans les boyaux d’Anshul City pour balayer toute trace de souillure (il s’agissait bien du seul ménage dont elle daignait s’occuper elle-même). C’est donc avec un sourire en coin qu’elle tendit une main parfaitement manucurée à l’autre jeune femme :

« En effet. Minghua Tan, Exterminatrice. »

Elle savoura chacun de ces mots, ne se lassant jamais du goût de revanche qu’ils avaient. Revanche sur son ex, qui s’imaginait qu’il pourrait impunément lui couper cette voie. Revanche sur ses parents, qui considéraient une belle alliance plus importante que ses ambitions. Revanche sur le monde, qui était resté apathique alors qu’on tentait de l’enfermer dans une cage dorée. Une revanche que les Aalz qui avaient eu la mauvaise idée de s’installer dans ces égouts se prendraient de plein fouet.

D’un coup d’oeil aussi rapide que précis, elle détailla celle qui l’avait interpelée et l’homme qui s’était jusque là tenu en retrait. L’autre femme était armée d’un arc et d’un carquois, tandis que l'homme n’avait pas d’arme apparente et se triturait les mains, soit de nervosité soit d’impatience. Sans doute s’agissait-il d’une consœur et du civil qui avait joué les pyromanes dans la boîte mail des clans. Pour sa part, Minghua était facilement identifiable comme une membre du clan Sunlin, et ce malgré qu’elle n’en porte pas le nom : sa tenue de Yihel rouge éclatant rehaussée de dorures clamait haut et fort son appartenance, tout comme le phénix brodé sur son cœur.

Oh, un nouvel arrivant. Leur équipe du jour (ou du soir) était donc composée d’une Sunlin et d’un Yifu, quelle originalité. Une chance qu’il y ait une TianLang pour rajouter une touche d'exotisme à leur Traque. Avec un sourire aimable qui ne révélait rien de ses pensées, Minghua serra à son tour d’une main délicate celle tendue par leur nouveau partenaire de Traque.

« Minghua Tan, Exterminatrice. Enchantée. »

Ce qui, évidemment, soulevait (implicitement, certes), la question de savoir si le troisième membre de leur équipe était Purificateur, ou s’ils allaient se lancer dans une Traque à trois Exterminateurs. Pour une poignée d'Aalz, voilà qui serait un tantinet exagéré. Et pour la Délivrance des égouts, un tantinet inefficace.

Preuve de la clémence de Minghua, mise dans de bonnes dispositions par la perspective d’une Traque toute proche, le « demoiselles » de SanNom ne lui valut qu’un dangereux regard d’avertissement. Qu’il dut remarquer, puisqu’après cela ses yeux fuyèrent ceux de la Sunlin. Restait à voir s’il l’avait aussi interprété correctement.

Et voilà que SanNom se lançait dans un monologue… strictement inintéressant. Se bornant à répéter ce qu’il avait déjà communiqué à leurs différents clans et ce qui se trouvait en cinq minutes de recherche Shugle. Minghua avait même été plus loin que lui puisque, elle, elle avait trouvé une carte des égouts. Juste au cas improbable où ils s’enfonceraient au-delà de la couverture réseau, rendant son app de localisation inutilisable. Quant à sa promesse d’appeler leurs clans… Laissez-la rire. D’ailleurs, elle rit. Un rire cristallin, léger, élégant. Pas forcément amical, mais on ne peut pas tout avoir.

« Vous n’aurez pas à les appeler, je vous assure. Et s’ils venaient à s’inquiéter de notre sort, ils ont votre numéro, après tout. »

Puisqu’il avait fait exploser la centrale d’appel de tous les clans à en posséder une, et probablement de l’Assemblée Yiheliste elle-même en sus. Un nouveau sourire ponctua sa phrase. Digne, poli, amusé. Pas forcément sympathique pour autant. Sourire qui s’élargit aux dépens de SanNom à sa prochaine promesse. Vraiment, il comptait les récompenser généreusement ? Soit il s’habillait (et vivait plus généralement) en-dessous de ses moyens, soit il n’avait aucune idée de ce qu’il promettait. La Sunlin lui épargna toutefois un nouveau commentaire. Il était de toute façon bien moins intéressant que la Yiheliste de bleu vêtue qui posait, elle, une question sensée.

« Je veux bien me dévouer. »

Quel altruisme, quelle abnégation ! Quelle parfaite manière de dissimuler son impatience croissante, et dont la vitesse de croissance n’avait fait qu’augmenter depuis que SanNom avait ouvert la bouche. Minghua s’avança donc résolument vers la bouche d’égout, non sans avoir au préalable enfilé des gants (rouges eux aussi). Hors de question qu’elle touche à mains nues les barreaux crasseux menant au cloaque d’Anshul City.

Le troisième membre de leur équipe de Traque était donc Purificateur. Excellent, ils avaient donc de croire détruire les Aalz et assainir les égouts (du moins d’un point de vue yihel, « sain » et « égouts » étant pour le reste deux concepts assez contradictoires).

L’agréable satisfaction de Minghua ne tarda malheureusement pas à voler en éclats, fracassée par les mots suivants du Purificateur. Non seulement il lui grillait la politesse en s’accaparant la première entrée dans les égouts, mais en plus s’appuyait sur un « devoir » d’autant plus inexistant qu’il était entouré de deux Exterminatrices, meilleures candidates pour la première ligne que le Purificateur qu’il était ! Oh, elle n’avait aucun mal à deviner d’où leur partenaire de Traque tirait l’idée saugrenue qu’il devait absolument descendre en premier : son « Demoiselle » avait assené le coup de grâce à l’opinion que l’avocate (spécialisée en divorces, rappelons-le) aurait pu avoir de lui. Et scellé son sort par la même occasion.

Bien que fulminante intérieurement, l’Exterminatrice n’en laissa rien paraître et s’effaça avec un sourire poli. Elle n’aurait pas été bien loin dans son clan si elle n’avait pas maîtrisé à la perfection l’art de faire bonne figure en toutes circonstances. Elle n’en avait pas moins la mémoire longue et la rancune tenace.

L’enthousiaste TianLang, elle, eut l’amabilité de laisser passer Minghua. L’ironie de préférer une TianLang à un Yifu n’échappa pas à la Sunlin. Ses mains protégées par des gants écarlates, elle empoigna donc résolument les barreaux de l’échelle pour s’enfoncer dans les entrailles (plus spécifiquement, le cloaque) d’Anshul City.

Vu le cadre, elle s’attendait à se retrouver dans un environnement malodorant. Elle n’en avait pas moins sous-estimé le véritable assaut olfactif que subit son nez, et elle par extension. Cet assaut, elle le subit avec un stoïcisme qui faisait honneur à son maître : pas le moindre frisson de ses narines ni le moindre tressaillement de sourcil. Et, parce qu’il n’y a rien de mieux qu’une distraction pour ignorer un désagrément, elle embraya volontiers à la proposition de l’autre Exterminatrice :

« En effet, mieux vaut que vous restiez en retrait, M. Deoselin, il serait dommage de perdre bêtement l’unique Purificateur du groupe avant que vous ayez pu remplir votre tâche de prédilection. »

La vengeance était peut-être un plat qui se mangeait froid, Minghua ne la trouvait pas moins savoureuse à chaud. Sa jubilation ne transparaissait toutefois pas dans sa voix, où ne filtrait que le soucis d'assurer la sécurité de leur confrère.

« Cela dit, on ne sait jamais ce qui peut arriver par derrière, et vous pourriez donc également être exposé en dernière position. À moins que cela ne vous dérange pas de fermer la marche afin d’encadrer notre Purificateur, Ayanga ? »

Voiiilà, qu’il laisse donc les Exterminatrices faire ce qu’elles faisaient de mieux : détruire des Aberrations et assurer la responsabilité des Purificateurs qui s’occupent du nettoyage. Blanc-bec, va.