Malgré le fait qu’il vive dans la ville où il se trouvait, Shiwen n’avait que très rarement visité le parc aquatique de Xianhui. À vrai dire, il avait visité assez peu d’endroits dans sa ville natale et encore moins d’endroits en-dehors : il avait toujours été plutôt casanier et satisfait de découvrir le monde à travers ses livres et son ordinateur plutôt que de le parcourir lui-même. Mais l’arrivée d’Anming dans sa vie, puis, quelques années plus tard, celle de leur fils, l’avait tout de même un peu sorti de sa bibliothèque. Et, puisque Wenyan s’était récemment pris d’intérêt pour les poissons et le reste de la vie sous la mer, le parc aquatique de Xianhui semblait une destination de sortie toute indiquée.

« Papa, pourquoi les poissons suivent le requin ? Il va pas les manger ? »

« Non : ce sont des remoras. Ils mangent les peaux mortes et les parasites qui gênent le requin et les bouts de proie que le requin ne mange pas, ils ont une relation de symbiose. »

« Oh. »

Fasciné, le garçon continua à observer l’élégant ballet aquatique du grand poisson et de sa suite. Shiwen le laissa faire, ravi de stimuler la curiosité et les facultés d’observation de son fils. Ils avaient la journée devant eux et amplement le temps de s’arrêter à chaque bassin, écran et panneau explicatif.


« Papa, pourquoi est-ce que le poisson rentre dans l’anémone ? Il va pas se faire mal ? »

« Non, c’est un poisson clown : il est immunisé contre le venin de l’anémone et il se nourrit de ses parasites. Et l’anémone le protège contre ses prédateurs et se nourrit des excréments du poisson. »

« Eux aussi c’est une symbiose ? »

« Exactement. »

Comme toujours, le bibliothécaire sentit une pointe de fierté face à la rapidité avec laquelle son fils comprenait de nouveaux concepts. Lui qui n’avait jamais été très à l’aise avec les jeunes enfants, se sentant incapable de communiquer avec eux, était ravi (et un peu soulagé) que l’intelligence de Wenyan lui épargne de nombreuses incompréhensions.


« Papa, le corail c’est une sorte d’animal ? »

« C’est… une colonie de sortes d’animaux, oui. »

« Oh. Comment ils mangent ? »

« … »

Alors là, il n’en savait fichtre rien. Pour la première fois de la journée, Shiwen n’avait aucune idée de la réponse, et ce malgré ses nombreuses lectures. Il regarda autour de lui à la recherche d’un panneau explicatif pouvant l’aider, mais fit chou blanc. Evidemment : si l’information avait été écrite quelque part, Wenyan l’aurait déjà trouvée sans lui poser de question. Le seul panneau explicatif sur les coraux à proximité expliquait simplement que « corail » était un terme générique pour désigner de nombreuses espèces d’invertébrés qui vivaient en colonie, construisant des récifs au fil du temps. Et les dangers menaçant ces récifs. Bien bien bien. Il devait bien y avoir une réponse quelque part dans le coin, non ?

Miracle ! Shiwen fut tiré de son embarras par un autre homme, un employé du parc en toute apparence. Voilà qui était encore mieux qu’un panneau explicatif, et Wenyan but avec intérêt chacune de ses paroles, sous l’œil amusé (et soulagé) de son père. Ledit père sentit son cœur se gonfler de fierté face au compliment envers son fils. Pourtant, il n’était habituellement pas un homme fier… Mais, comme souvent, ce qui touchait à Wenyan était l’exception à la règle. Les deux coins de ses lèvres se levèrent en un sourire léger pour la moyenne des gens, mais radieux par rapport aux habituelles micro-expressions du bibliothécaire.

« Merci. »

Remerciement qui couvrait aussi bien le compliment que les explications de l’homme. De son côté, Wenyan affichait un sourire nettement plus large que son père en se tournant vers lui :

« Il y a de la symbiose partout dans la mer ! »

Non seulement il comprenait vite ce qu’on lui expliquait, mais en plus il retenait facilement et faisait des liens entre les différentes informations qu’il recevait. Shiwen acquiesça d’un hochement de tête :

« Oui, parce qu’il y a des symbioses partout dans la nature, dans la mer et sur terre. »

« Ooooh. »

La fascination du garçon pour les relations symbiotiques ne dura toutefois pas (pour le moment du moins), le concept abstrait étant sans doute moins fascinant que les activités de l’homme qui avait si aimablement répondu à sa question. Il s’approcha pour mieux regarder (sans toutefois dépasser de la zone où les visiteurs étaient autorisés), puis, après l'avoir observé un moment, posa une nouvelle question :

« Monsieur ? Vous faites quoi ? »

L’avantage (enfin, un des nombreux avantages) à avoir un enfant aussi curieux que Wenyan, c’était que Shiwen aussi en apprenait tous les jours au fil des nouvelles découvertes de son fils. C’est donc deux Yifu très intéressés qui écoutèrent les explications de l’homme.

« Oh ? Ca peut tomber malade les coraux ? Comment vous les soignez ? »

Une autre excellente question que le père de l’enfant était ravi de laisser à l’expert en la matière. Et sans doute pas la dernière de cette conversation. Le bibliothécaire gardait toutefois un œil sur les réactions de l’autre homme afin d’éviter que Wenyan ne finisse par accaparer trop de son temps ou l’empêcher de remplir ses tâches. Tout le monde n’avait pas forcément la patience nécessaire pour endurer l'interrogatoire d’un enfant de dix ans décidé à tout comprendre dans le monde.

« Oooooh. »

Malgré son vocabulaire riche et varié pour un enfant de son âge, Wenyan restait… eh bien, un enfant de son âge. Qui n’utilisait donc pas forcément toujours toute l’étendue de ce vocabulaire riche et varié, en particulier lorsque la fascination le faisait passer au second plan.

« Comment vous étudiez le corail ? »

Non, le flux de questions ne se tarirait pas de lui-même. À moins que l’homme ne demande à Wenyan de le laisser en paix, ou que Shiwen ne remarque que son fils commençait à le gêner dans son travail (ou, tout simplement, l’embêter). À condition, bien sûr, qu’il le remarque, ce qui n’était pas forcément garanti. Le bibliothécaire lisait nettement mieux les livres que les gens.

Shiwen compatissait sincèrement avec l’autre homme : lui aussi avait maintes fois atteint les limites de son savoir face à la curiosité de Wenyan. Ce qui voulait aussi dire qu’il en avait appris énormément grâce à son fils, puisqu’il refusait de le laisser sur une question sans réponse. Il y avait donc fort à parier que père et fils se renseigneraient bientôt sur l’étude du corail.

Mais pour l'heure, le garçon avait une autre question sur la langue, amenée là par la mention du nourrissage. Ca se nourrit, des corails ? Enhardi par les réponses aimables de l’employé du parc, il prit une inspiration pour poser sa question… puis la retint en entendant les explications se poursuivre, parce que ce n’est pas poli d’interrompre les gens quand ils parlent. Et ne la posa finalement pas, puisque le reste des explications y répondit directement : c’était du nourrissage des requins, et non des corails, que le monsieur parlait. À la mention des grands poissons, les yeux de l’enfant brillèrent de plus belle.

« Oh ! Vous les nourrissez comme ça ils mangent pas les rémoras ? Mon papa, il dit que les requins ils mangent pas les rémoras, parce que les rémoras ils nettoient les requins et ils mangent les peaux mortes et tout. »

Tout en parlant, il se tourna vers ledit papa avec un grand sourire, ravi de montrer qu’il avait retenu ce qu’il avait dit. Un sourire plus léger lui répondit, alors que Shiwen se ré-insérait dans la conversation.

« Eh bien, si tu veux on peut aller voir ça. Et laisser monsieur travailler par la même occasion. Merci pour vos explications. »

La dernière phrase, pour laquelle il s’était à nouveau tourné vers l’autre homme, était accompagnée d’une légère inclinaison du buste, la main sur le cœur.

Des requins-tigres et des requins-bouledogues ?! Sans le savoir, l’homme venait d’emplir l’esprit du garçon d’images fantastiques d’êtres mi-poisson, mi-félin ou mi-chien ! Des images qui faisaient naître plein de pétillements dans ses yeux ! Et alors qu’il se tournait vers son papa, le message se passait de mots : on peut aller les voir ? Maintenant ?

Le papa en question répondit de manière tout aussi silencieuse, d’un léger hochement de tête accompagné d’un sourire tout aussi léger. Mais Wenyan avait l’habitude du peu d’expressivité de son père, et cette simple confirmation suffit à faire redoubler encore les étoiles dans ses yeux. Et ses presque-trépignements d’impatience alors que la conversation s’éternisait entre le monsieur du parc aquatique et son papa.

« Je suis ravi de l’entendre. Et oui, Wenyan a une curiosité débordante et l’esprit vif qui va avec. »

Son sourire s’était élargi, un peu, alors qu’il tournait par réflexe à nouveau la tête vers son fils. Mais ce mince sourire était empli de la fierté ô combien reconnaissable d’un parent pour son enfant et remontait jusqu’aux yeux de Shiwen, emplis d’une chaleur qu’il ne cherchait même pas à dissimuler (et il aurait de toute façon été bien incapable de le faire). Peut-être n’était-ce pas vraiment la réponse la plus polie qui soit aux compliments de l’autre homme, qu’il aurait plutôt fallu remercier… mais la politesse était actuellement un peu secondaire dans l’esprit de du bibliothécaire.

« Nous allons suivre vos conseils et retourner voir les requins, merci pour le temps que vous nous avez accordé. »

« Oui, merci monsieur ! », renchérit Wenyan avec entrain.