Un premier regard

Aujourd’hui est un peu particuliers puisque je ne travaille pas à mon cabinet habituel. Exceptionnellement, je remplace un confrère du quartier de Lianshi qui a dû s’absenter pour des raisons personnelles. Mes patients sont principalement des enfants, de jeunes apprentis, puisque mon confrère est le médecin du clan Sunlin.

La matinée est tranquille, j’ai le temps de me familiariser avec les lieux et de prendre connaissance d’une partie des dossiers des patients. L’après-midi est un peu plus mouvementée, les visites sont un peu plus nombreuses. Mais les consultations sont rapides puisque les blessures ne sont jamais bien graves.

Le milieu de l’après-midi arrive vite et après une courte pause café entre deux petits patients, je retourne dans le cabinet de consultation où je reçois une fillette qui a reçu un mauvais coup sur le nez. Pas de fracture, juste un léger saignement qui se calme bien vite. Un peu de glace et d’arnica et je la laisse filer avant de me rendre dans la salle d’attente où attend un jeune garçon.

« A ton tour, jeune homme ! »

Je l’invite à me suivre dans le cabinet puis je lui fais signe de s’asseoir avant de m’installer en face de lui, de l’autre côté du bureau.

« Je me présente, je suis le Docteur Chang, et je remplace ton médecin aujourd’hui. Tu veux bien me dire comment tu t’appelles et ce qui t’amène ? »

Je lui souris gentiment en le regardant, patientant qu’il me réponde. Je peux comprendre qu’il soit surpris, voire intimidé, face à quelqu’un qu’il ne connaît pas, alors je ne le brusque pas.

Codage par Libella sur Graphiorum

Les yeux de l’enfant clignèrent une, puis deux fois, surpris à la vue du jeune monsieur qu’il ne connaissait pas. L’endroit, bien sûr, il le connaissait. Il le connaissait même très bien ! Lorsque lui ou les autres apprentis se faisaient mal au Yihel, ils venaient toujours ici. Le  docteur Sane Pikpa était une très-très gentille dame. Elle était un peu vieille comme leur grand-mère, sauf qu'elle, elle faisait des sourires, et sa salle d'attente était pleine de dessins rigolos sur les murs et de livres pour enfants.
La salle d'attente où on venait de le lâcher était identique à d'habitude.... Mais ce monsieur, là, qui l'enjoignait de le suivre, il ne l'avait jamais vu, jamais de sa vie !
Et on lui avait toujours bien dit de ne jamais suivre un inconnu ! Alors, il hésita. Un peu méfiant, il finit par emboîter le pas à l'homme jusque dans son cabinet - le fait que tout soit comme d'habitude le rassura. Et lorsque finalement le monsieur lui dévoila qui il était et ce qu'il faisait là, assis au bureau du docteur Pikpa, la situation prit du sens et il se détendit.

“Je m’appelle Shiyun Sunlin.”  Il observa le médecin avec une curiosité mal camouflée, avant de s’empresser de prendre une grande inspiration et de répondre à la question :   “Je me suis tordu le poignet, c’est parce qu’à la récréation  les grands ont voulu nous emmener sur leur terrain d’entraînement, et il y avait des bosses et des trous et des pièges, alors je suis tombé, et mon frère est tombé sur moi, et ma cousine est tombée sur mon frère, et moi j’étais en dessous et-”
Il inspira à nouveau , profondément et précipitemment avant d’ajouter : “... et je me suis tordu le poignet et griffé la main par terre aussi, ça fait un petit peu mal mais pas beaucoup, et le monsieur qui surveille le terrain m’a amené tout de suite ici, il a dit à son ami qu’il a peur que mon oncle lui fasse sauter sa foutue licence, foutue c’est vraiment un mot grossier je crois, mais c’est lui qui l’a dit hein, et licence je sais pas ce que ça veut dire, parce que mon oncle c’est notre Maitre-Yiheliste et qu’il leur a dit de ne pas nous laisser aller sur le terrain des grands, surtout les jours où il est pas là comme aujourd’hui.”

Il tendit sa main effectivement égratignée, dont le poignet était légèrement gonflé, en précisant :

“Ça fait mal seulement quand j’appuie dessus... C’est pas grave, alors ?”  questionna-t-il avec espoir.

 

Un premier regard

Je vois bien que l’enfant se détend ostensiblement une fois que je me suis présenté. Je souris et je l’écoute me raconter ce qui lui est arrivé, non sans sourire d’amusement. Les enfants sont incroyables et terriblement amusants. Je regarde la petite main qu’il me tend et je commence à la manipuler avec douceur.

« Ça te fait mal quand je bouge ta main ? »

Le verdict rendu par le petit Shiyun Sunlin, visiblement un peu casse-cou, je me lève pour chercher de quoi nettoyer son égratignure ainsi que du gel, un bandage et une atèle pour son poignet.

« Ce n’est pas bien grave, en effet, mais ton poignet est quand même gonflé, il se peut que tu te sois fait une légère entorse. Tu vas devoir garder cette atèle une semaine, ça ne t’empêchera pas de pratiquer le Yihel, comme il n’est pas cassé, mais je vais tout de même faire une ordonnance pour passer une radio afin d’être sûr qu’il n’y ai rien de plus grave. »

Tout en lui expliquant ça, je désinfecte sa griffure et je lui applique le gel pour faire dégonfler son poignet puis je fais le bandage et je lui enfile l’atèle avec douceur. Je rédige ensuite une ordonnance pour le gel et la radio.

« Voilà, tu devras appliquer le gel sur ton poignet trois fois par jour et bien porter ton atèle pour ne pas te faire plus mal, d’accord ? Tu donneras ce papier à tes parents, tu n’oublieras pas ? »

Je lui souris et je lui tends l’ordonnance et le gel avant de lui tendre le gros bocal à bonbons.

« Tu peux prendre une sucette, tu as été très sage. »

Après cela, je raccompagne mon petit patient jusqu’à la sortie.

« Tu peux y aller. Et sois prudent la prochaine fois. »

Et le petit Shiyun abandonna sa main au docteur Chang, qui était bien gentil, et qui se livra à tout un tas de manipulation dont aucune ne lui fit mal, ce qui acheva de gagner la confiance de l’enfant - lequel, comme tout enfant régulièrement exposé aux terribles aiguilles vaccinales, ne raffolait pas de visites chez le médecin.

Il prit donc le papier qu’on lui tendait, en hochant la tête avec vigueur pour attester qu’il avait bien compris, juste avant que tout son visage ne s’éclaire d’un sourire joyeux en apprenant qu’il avait gagné une sucette. Il glissa sa petite main dans le bocal tendu pour y prendre la friandise concédée, en s’exclamant :

“Merci beaucoup ! Oui, je ferai très attention la prochaine fois !”

Il avança à la suite du médecin jusqu’à la porte, avec moult précautions pour ne faire tomber ni la feuille, ni le tube, ni la sucette, et s’apprêta à sortir. Cependant, à l’instant où la porte s’ouvrir se figea sous la surprise Shenjiu Sunlin, qui était si bien sur le point de toquer à la porte qu’il manqua tout juste de toquer sur le visage de l’homme qui lui faisait face. Son regard se porta sur son fils, dont il s’enquit de l’état d’un ’ça va ?' à voix basse, et ce fut après avoir reçu une réponse sous la forme d’un joyeux acquiescement qu’il adressa à l’enfant un léger sourire, et ajouta : ‘Tu me raconteras ce qui t’est arrivé. Mais d’abord, va t’asseoir là bas, et attends moi un instant.”
Il prit la feuille que tu lui tendait l’enfant, qui s’en retourna d’un pas léger vers les chaises de la salle d’attente alors que Shenjiu tournait vers le jeune homme un regard certes neutre mais que l’on laissait néanmoins s’habiller d’une légère nuance interrogative.

“Shenjiu Sunlin. Je suis le père de Shiyun.”

Le ton de la question réclamait nettement une identité en retour. Il s’agissait du cabinet d’un médecin du clan, et s’il se doutait bien qu’il devait y avoir une raison pour qu’un inconnu y officie, il voulait savoir à qui au juste avait été confié son rejeton.
Et il ajouta :

“... On vient de me prévenir qu’il avait été blessé lors de l’entraînement yihel.”

Il dépliait d’ailleurs la feuille que le petit garçon lui avait remise, et y jetait un bref coup d’oeil en attendant la réponse de l’inconnu - et ce rapide coup d’oeil lui confirma qu’il avait donc bel et bien affaire à un médecin, en toute logique venu remplacer l’habituelle occupante des lieux.

 

Un premier regard

Je souris en écoutant l’enfant me promettre de faire attention puis je sursaute lorsque devant la porte, je tombe nez à nez avec un autre homme. Surpris, je recule d’un pas et après avoir observer le bref échange entre le garçon et l’homme, j’en conclus qu’il s’agit du père du petit Shiyun. Et celui-ci me confirme ma conclusion. Je lui souris poliment.

« Enchanté Monsieur Sunlin. Je suis FeiLiang Chang, médecin généraliste. J’exerce habituellement dans le quartier de Hitsai mais je suis venu remplacer ma consœur exceptionnellement aujourd’hui. »

Je le laisse regarder l’ordonnance avant de jeter un coup d’oeil à l’enfant qui se tient tranquille un peu plus loin, puis je regarde à nouveau son père. Un très bel homme, ce Shenjiu Sunlin, mais terriblement froid. Je lui adresse un nouveau sourire poli.

« En effet, suite à une mauvaise chute, il s’est fait une légère entorse au poignet. Je lui ai prescrit du gel pour le faire dégonfler. Il faudra lui appliquer le gel trois fois par jour et veiller à ce qu’il garde bien son atèle pour la semaine à venir, même pour dormir. Bien sûr il faudra l’enlever pour le bain. J’ai également préconisé une radio du poignet afin d’être sûr que ça ne soit pas plus grave que ça en a l’air, mais je ne suis pas inquiet. Si vous avez d’autres questions, je suis à votre écoute. »

Je regarde l’homme en face de moi avec confiance et assurance, toujours avec ce sourire poli. Bien sûr il est intimidant, mais je n’en montre rien. Je patiente simplement, voir s’il a d’autres question ou non.

Codage par Libella sur Graphiorum

L’information lui passa sous les yeux, une identité figurant sur l’ordonnance, et la voix amena confirmation. Mais surtout, et c’était là le plus important, il cherchait à déterminer comment FeiLiang Chang, exerçant dans le quartier de Hitsai, s’était retrouvé dans le cabinet d’un médecin du clan, s’occupant à traiter le poignet de son fils. Et,là aussi, il fut renseigné, de manière plus subtile. Prendre ses quartiers dans cette pièce induisait une solide probabilité pour que Sane Pikpa, qui s’était fait une spécialité de traiter les petits accidents des jeunes apprentis, ait fait personnellement appel à lui. On aurait pu s’étonner qu’elle se fasse remplacer par un médecin extérieur au clan, mais ça n’effleura pas spécialement Shenjiu. A peine se fit-il la réflexion que ce Chang devait être un praticien exceptionnellement compétent pour qu’elle lui confie cette tâche.

Il parcourut en diagonale les annotations, tout en écoutant l’homme. Une entorse, donc. Ce n’était pas bien grave, mais c’était plus sérieux que l’égratignure qu’on lui avait sous-entendue au téléphone lorsqu’il avait été prévenu. Il en toucherait un mot à Shenyuan.

Son regard quitta la feuille pour se diriger à nouveau vers le regard couleur d’automne de son interlocuteur dont il écouta les dernières paroles avec une attention impassible, et esquissa un infime signe de tête en guise d’acquiescement.


“Très bien. Tout est très clair, je vous remercie. Nous suivrons tout ceci scrupuleusement.”  il tourna les yeux vers son fils.  “Shiyun, nous partons. Remercie le Docteur Chang, et nous irons ensuite chercher ton frère.”

A présent qu’on avait dévasté son emploi du temps, autant récupérer l’autre moitié de sa progéniture. Shenjiu était un homme simple, oui, oui. Et il salua son vis-à-vis, alors que le petit garçon s’avançait et s’exclamait un “Merci, Docteur !” de sa petite voix bien trop enjouée pour un gamin qui doit porter une attèle pendant une semaine…

… Et à peine cinq minutes après le départ du père et du fils par la porte Ouest, un instructeur de Yihel au bout du rouleau entra par la porte Est pour déposer dans la salle d’attente la copie conforme de l’enfant, une copie conforme sans attèle mais les deux genoux en sang et se retenant très fort de pleurer ! Et l’instructeur, qui réfléchissait de manière très évidente à tout plaquer pour aller cultiver des carottes en Gedo, lui enjoignit de bien attendre là que le docteur vienne le chercher, puis décarra à toute vitesse pour retourner auprès du reste des gamins.
Manquerait plus qu’en son absence, un parent arrive dans la salle de Yihel et constate qu’ils sont sans surveillance.

 

Un premier regard

Mon sourire s’élargit à la réponse du papa en face de moi. Bien, il a tout compris et je ne doute pas qu’il fera ce qu’il faut pour son petit casse-cou. Je regarde d’ailleurs l’enfant, souriant toujours.

« Au revoir Shiyun, fais attention à toi. -  dis-je en lui faisant un petit signe de la main. - Je vous souhaite une bonne fin de journée, Monsieur Sunlin. » dis-je à l’homme intimidant.

Je les regarde partir avant de retourner à mes affaires dans le cabinet mais à peine cinq minutes après, j’entends qu’on m’amène un nouveau patient. Je me lève donc du bureau pour aller chercher ce petit patient et… j’ai un instant de latence en voyant le visage du garçon. Pendant une seconde, je crois qu’il s’agit de Shiyun, mais il n’a pas les mêmes vêtements. C’est son frère. Je remarque aussitôt l’état de ses genoux. Je me dirige donc vers lui avec empressement.

« Je suis le docteur Chang, je remplace Madame Pikpa. Est-ce que tu peux marcher ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » je demande doucement en l’aidant à se lever pour l’emmener vers mon cabinet afin de soigner ses pauvres genoux.

« Je vais nettoyer les plaies, d’accord ? Pour ça, je vais devoir découper ton pantalon pour pouvoir mieux te soigner. Ça va piquer un tout petit peu, mais ça sera vite fini. » je lui explique tout en l’installant sur la table d’auscultation, en position assise, puis je vais préparer le nécessaire et je reviens vers lui. Je découpe donc son pantalon juste au-dessus des genoux puis j’imbibe un coton de désinfectant.

« Tu sais, je viens juste de laisser partir ton frère. Il m’a raconté que ta cousine et toi êtes tombés sur lui en allant sur le terrain d’entraînement des plus grands. Il s’est fait un peu mal au poignet, il a une atèle. Mais il a été courageux. Je suis sûr que tu es aussi courageux que lui. Quand il est sorti, ton frère a eu une sucette, je t’en donnerais une aussi. Tu as un parfum que tu préfères plus que les autres ? »

Je lui parle pour détourner son attention de ce que je fais. Je nettoie le sang autour des plaies pour voir si c’est grave ou non.

Codage par Libella sur Graphiorum

Comme son frère, Shiyao eut une seconde de latence à la vue du docteur inconnu, mais la petite pointe d’inquiétude qui avait investi son regard s’était dissipé lorsque l’homme avait expliqué remplacer le docteur Pikpa. C’était déjà arrivé par le passé, alors il ne s’en alarma pas, et il hocha la tête pour signifier qu’il pouvait en effet marché… ne refusant néanmoins pas l’aide salutaire.
Shiyao était très semblable, presque identique à Shiyun, mais il était un petit peu plus réservé. Cependant… Il avait beau se retenir de pleurer, son petit menton tremblait à intervalles réguliers, témoignant du mal qu’il avait à retenir ses larmes. Bien des enfants étaient impressionnés par le sang, surtout le leur propre, et Shiyao était de ceux-là. Mais le Docteur Chang savait indubitablement s’y prendre, et l’attention du petit garçon était déjà captée par ses mots lorsque celui-ci fit un sort à son pantalon pour accéder à ses genoux écorchés. C’étaient là de sales écorchures, l’enfant ne s’était pas raté, mais il s’agissait de blessures superficielles.

“C’est quand on est tombés. Je croyais que je m’étais juste cogné, mais après ça a saigné.”  L’adrénaline de la chute avait de toute évidence occulté l’inconfort des écorchures, sans parler de la focalisation sur le malheureux poignet de son jumeau, mais évidemment, lorsque son pantalon s’était teinté de rouge, ça n’avait plus été la même désinvolture.  “C’est pas grave si ça pique un peu.” affirma-t-il d’une voix moyennement assurée, désireux d’être aussi courageux que son frère - et même un peu plus, pourquoi pas ? Après tout, il était l'aîné. Et puis, il fallait mériter la friandise promise, dont la promesse avait amené sur son visage un tout petit sourire et un aveu :

“J’aime bien à la fraise…”

Il observait le médecin avec une certaine curiosité, à présent. Il parlait doucement, avec un gentil sourire. Docteur Pikpa était gentille aussi, mais elle était sévère, elle ne souriait pas beaucoup, et elle ne donnait de bonbons que lorsque l’on avait enduré une douloureuse piqûre. Peut-être qu’il allait revenir la remplacer plusieurs fois ? Ce serait bien ! Mais il n’osa pas demander, pas certain que ce soit poli. Et dans le doute, il valait mieux rester dans le flou que paraître inconvenant.
Et tandis que son deuxième fils se trouvait entre les mains de FeiLiang Chang, Shenjiu revenait sur ses pas.
Passons sur sa sunlinenne contrariété lorsqu’en arrivant à la salle d’entraînement de Yihel, il avait eu l’occasion de constater que la surveillance était inexistante - oh, et que son deuxième fils avait lui aussi été mené chez le médecin. Passons, et passons de même sur le degré d’acidité qu’il avait atteint en échangeant avec l’encadrant dont les velléités de reconversion professionnelle se précisaient, pour le retrouver quelques instants plus tard à frapper à la porte du cabinet, pour la deuxième fois en moins de quinze minutes.